Je reprends donc la suite de l'article précédent.
Louloute va avoir 2 mois. Et n'a pas pris un gramme depuis plusieurs semaines. J'ai rendez-vous au médecin pour vérifier que niveau santé, tout va bien. Je ne suis pas inquiète, je suis juste convaincue qu'elle a un petit estomac et qu'à part une sorte de gavage pour l'aider, il n'y a rien à faire. Enfin, ça c'est mon cortex qui parle. Mon cerveau reptilien a allumé toutes les sonnettes d'alarme. Tout clignote. J'évite de trop regarder, j'ai trop peur.
Le médecin s'accorde à dire qu'il y a un problème et ne remet pas en cause mon allaitement. Je l'aurai embrassé. A l'observation, il trouve que Louloute respire bizarrement, et il entend un petit murmure anormal. Il me dirige vers les urgences pédiatriques. Il reste très calme, me parle d'infection urinaire par exemple, que le problème au poumon n'est surement rien et me dit qu'il ne faut pas attendre pour trouver le souci mais qu'il n'y a pas d'urgence absolue non plus. Il me rassure, les urgences c'est juste parce qu'ils ont tout sur place et que les résultats seront là vite. A ce moment-là, je flotte. Je me détache et je mets toutes mes émotions en veille. J'attends. Je mécanise tel un robot, je laisse sortir la scientifique qui analyse les données et attends les résultats.
Je pars aux urgences calmement. Tellement calmement que Môssieur ne voulait pas me rejoindre immédiatement, pensant qu'il n'y avait pas de danger immédiat. Finalement il viendra. Très vite, ma puce est auscultée. La pédiatre trouve les lèvres de Louloute violette dès qu'elle pleure. Ben oui mais c'est normal, c'est ce qu'on nous a dit à la maternité. Oui mais voilà, il semble que ça soit normal dans les premiers temps de vie. A 2 mois, ça ne l'est plus. Donc elle désature. L’infirmière lui installe les lunettes à oxygène. Môssieur craque de voir son bébé ainsi flanqué. Moi je flotte toujours et j'attends la suite. Radio des poumons. On attend les résultats et on est reconduit en salle d'examen. Enfin on me laisse la faire téter et là... une vraie tétée Efficace ! Pendant plusieurs minutes ! Je vois une nette différence. Ouf on va peut-être enfin savoir ce qui ne va pas !
La pédiatre, l'interne, l'infirmière et l’auxiliaire entrent tous dans la chambre. Mais ils veulent attendre mon mari qui est sorti deux minutes. Ça pue, personne ne me regarde. On est au petit soin : vous voulez de l'eau ? Vous voulez une chaise ? Enfin il revient. Quelqu'un ferme la porte. Et on nous propose de nous asseoir. ALERTE ROUGE ALERTE ROUGE ! Tout clignote chez moi, les alarmes hurlent. Je refuse de m'asseoir : ça suffit les simagrées, lâchez le morceau ! Là, la doc sort la radio et nous la montre. Je vois immédiatement qu'elle est anormale. Il y a une énorme masse noire. Je flotte toujours, j'attends les explications. Cette masse, c'est son poumon. En fait, son poumon gauche emplie les 3/4 de la cage thoracique. Son cœur est dévié à droite, son poumon droit est comprimé. Là, là, je m'effondre. Je comprends enfin que c'est grave, très grave. Ils ne savent pas ce qu'elle a. On va nous transférer en urgences dans un grand hôpital mère enfant spécialisé. La descente aux enfers commence.
Le trajet se déroule dans l'angoisse. Mon bébé, mon si petit amour. Elle pleure toute la route. Elle veut téter. Le doc refuse de s'arrêter, il ne sait pas à quel point c'est grave et s'il y a danger imminent. Je pleure, j'ai peur. Je suis déchirée.
Nous arrivons aux soins continus de l'autre établissement. Nous sommes en plein pic de bronchiolite. La peur ne me lâche pas : problème pulmonaire et bronchiolite ? Au secours ! On me fait répéter 50 fois les mêmes choses. Personne ne me répond, personne ne sait ce qu'elle a. Mon âme commence à se fêler. Les deux poumons seraient affectés, ça serait très grave. On me parle de maladie génétique, d'une dégradation du collagène, d'un défaut du tissu conjonctif, et autres joyeuseté. J'en suis à un stade où je veux savoir si ma fille peut espérer s'en sortir. Je ne cesse de me répéter que si on ne peut rien faire, je veux qu'elle finisse sa courte vie avec nous, la maison et pas dans un hôpital. Je questionne chaque médecin. Je les harcèle. Je comprends ce qu'ils me disent. J'ai peur mais mettre des mots et envisager le pire me rassure, me donne la force. On tient le choc pour elle mais aussi pour nous, parce qu'on est sur le fil du rasoir et le premier qui craquera fera chuter tout le monde. Je pleure mais je tiens le coup.
Nous sommes transférés en pneumologie. Enfin nous espérons avoir des réponses. Les heures tournent, nous demandons les médecins. "Ils viendront quand ils seront prêt". Les infirmières et les auxiliaires n'y sont pour rien. Mais j'ai envie de hurler quand on me dit ça. Finalement une interne viendra nous reposer pour la énième fois les mêmes questions. Et on finit par apprendre que Louloute sera opérée !!???!! Le chirurgien finira par passer nous expliquer : Notre puce a un emphysème pulmonaire. En gros, un lobe pulmonaire est malformé (ho culpabilité, te voilà, compagne qui a du mal à me lâcher depuis), il se gonfle d'air mais ne se vide pas. Il n'est pas fonctionnel. C'est grave mais ça s'opère. Soulagement. Larmes. Mais peur à nouveau, les problèmes métaboliques continuent de tourner dans ma tête : est-il sur que ce n'est "que" ça ? Que ce n'est pas autre chose ? Que ça ne reviendra pas ? Il me faudra de long mois pour admettre que l'opération suffira à sauver ma fille.
Je vous épargne les détails. L'opération était très dangereuse car pour ouvrir le thorax, il est nécessaire d'intuber. Or cela fait augmenter le volume du poumon et donc la pression thoracique. Au risque qu'elle augmente trop. Mais finalement, tout se passera bien, malgré une suite d'opération très douloureuse, des pics de croissance à répétition, une candidose récidiviste, des crevasses, des angoisses, des réveils toutes les 45min exactement, la fatigue. Mais mon bébé allait vivre et normalement et tous les jours j'y pense, et tous les jours je remercie son étoile qui a veillé sur elle.
Souvent je me dis que mon acharnement à vouloir l'allaiter lui a sauvé la vie. Peut-être. Peut-être pas. Mais en tout cas c'est ce qui a sonné l'alarme. Là je vous écris avec mon bébé endormi sur moi dans l'écharpe. Encore une fois à 10mois passés, elle a besoin de maman pour s'endormir. Je la regarde si détendu dans le sommeil, et je me dis que j'ai une chance infinie qu'elle soit avec nous (aussi pénible soit elle par moment) et que personne, personne ne devrait vivre le décès d'un enfant.
J'en garderai une cicatrice à jamais. Ce jour où, j'ai cru la perdre...